Amédée Darga, Directeur général de StraConsult : « La Gen Z mauricienne est traversée par des paradoxes »

Pourquoi avoir lancé une étude sur la Génération Z à Maurice ?
StraConsult a l’habitude de mener des études socio-économiques. Mais au-delà de notre activité professionnelle, j’ai un intérêt personnel pour ce qui se passe dans la société mauricienne. J’observe les comportements, les petits changements individuels qui, avec le temps, façonnent des évolutions plus larges dans la société.
Depuis quelque temps, lors de rencontres dans différents cercles d’entreprises, j’entendais un refrain récurrent : les employeurs évoquaient des difficultés à gérer les jeunes de la Gen Z. Que ce soit au moment du recrutement, pour les retenir, les encadrer, ou même communiquer avec eux. Cela m’a interpellé. J’ai proposé de faire une étude, et plusieurs entreprises, dont Eclosia, ont accepté de nous soutenir. C’est comme ça que le projet a démarré.
Comment avez-vous procédé pour recueillir les données ?
L’étude a commencé à la fin de l’année dernière et s’est achevée en mars 2025. Quand on réalise ce type d’étude, il ne faut pas projeter ce qu’on pense. L’important, c’est de faire émerger ce que les répondants, ici les jeunes, ont dans la tête. Nous avons donc commencé par des entretiens libres avec 58 jeunes. Cela nous a permis de saisir leur langage, leurs ressentis, leur manière de penser.
Ensuite, nous avons complété avec une phase quantitative, plus structurée, auprès de 800 jeunes. On leur a posé une série de questions sur leurs valeurs, leur rapport au travail, leur vision de l’entreprise et leur place en son sein. Ces deux approches nous ont permis d’avoir une image très riche, très vivante.
Qu’est-ce qui ressort le plus fortement de cette étude ?
Ce qui m’a marqué, ce sont les paradoxes. La Gen Z mauricienne exprime des valeurs très fortes - respect, justice, discipline. Des valeurs auxquelles tout le monde peut s’identifier. Mais ce qui ressort, c’est l’écart entre ce qu’ils veulent et ce qu’ils vivent. Entre ce qu’ils espèrent du monde du travail et ce qu’ils y trouvent en réalité. Ce décalage est parfois profond, et il génère des tensions. Pas parce qu’ils sont contre le travail. Mais parce qu’ils rêvent d’un monde plus aligné avec leurs aspirations.
Quelles leçons les employeurs peuvent-ils tirer de cette étude ?
Les employeurs qui ont assisté à nos présentations se sont très souvent reconnus dans les résultats. Ils ont vu leurs propres expériences confirmées, éclairées même, par les données de l’étude.
Mais il ne suffit pas d’écouter et de passer à autre chose. Il faut transformer cette prise de conscience en action. Et je tiens à saluer l’approche d’Eclosia, qui a décidé de ne pas s’arrêter à la présentation. Ce que fait Eclosia aujourd’hui - s’asseoir, dialoguer, réfléchir en interne à partir des résultats - c’est exactement ce qu’il faut faire.
Est-ce que cette étude permet aussi de déconstruire certaines idées reçues sur la Gen Z ?
Oui, très clairement. Beaucoup d’adultes, dans les entreprises ou même dans les familles, sont bloqués sur des jugements. Ils voient des comportements qui les dérangent et concluent que cette génération est paresseuse, instable, difficile.
Mais il faut aller au-delà des apparences. Ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas qu’il faut rejeter. Cette génération a sa logique, ses codes, ses repères. Il faut chercher à comprendre. Refuser le dialogue, c’est passer à côté de tout ce qu’ils peuvent apporter. L’île Maurice et les entreprises ont besoin de tout faire pour garder cette génération et pour lui donner la perspective de contribuer au progrès avec ses idées novatrices. C’est une génération qui a une maturité tardive mais qui veut aussi être des citoyens qui ont un travail stable, qui sont rémunérés de façon juste, et fonder une famille.